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Textes / Texts

Textes

Ancienne étudiante de l'école nationale supérieure de photographie d'Arles, Karine Debouzie s'est progressivement éloignée de la captation photographique de la réalité pour explorer le langage plus direct de la forme et de la choséité, de leur surgissement et leur appréhension dans l'installation et l'environnement.

Marquée par la relation de l'imaginaire au réel, de l'informe à l'inconscient, du visible à l'indicible, Karine Debouzie travaille sur des matériaux à la fois pauvres et chargés d'affect; du polystyrène qu'elle déforme et enduit de couleur comme s'il s'agissait d'une graisse ou d'une matière alimentaire, aux bandes magnétiques qu'elle manipule avec leur contenu latent de mémoire, du matériel médical qu'elle détourne de sa fonction première, tous ces "supports" ou "mediums"  conservent au final leur part de trouble et de malaise, d'impact et d'étrangeté, nous introduisant dans un champ où les mécanismes d'interprétation sont convoqués au niveau de la sphère plus intime de la perception et des sens.

Créant des formes froides et organiques, des mélanges à la fois neutres et instables, des dispositifs jouant sur la séduction et la répulsion, le travail de Karine Debouzie nous entraîne dans une interrogation du corps et des mécanismes de la pensée : "le corps est l'étendue de la psyché" disait Freud... C'est la notion même de corps qui est ici déplacée à la façon d'un dedans-dehors sans limites ou cadre précis. De la même manière, la notion de féminin ne cesse d'être à la fois investie et défaite, alimentée et évacuée dans le sens d'une mise en scène impossible, d'une fiction qui touche à l'obscène ou au court-circuit des pulsions. L'oral, le cannibale, le jouissif dialoguent avec la rétention, la coupure, la tension enfermante, comme si le corps sexué renvoyait toujours à la hantise de la castration, comme si la détermination par le genre ou les catégories mentales n'avaient de cesse de ravager l'humain et sa dimension intérieure.

Comment traduire l'émotion et le ressenti intime sans perdre pour autant le point de vue analytique et plus distancé ? Comment décrire l'énergie ? Comment aborder la force de la violence et son contraire, la vulnérabilité ? Comment décrire la souffrance sans tomber dans le piège du pathos ou de l'irregardable ? Comment creuser la particularité de l'intime tout en créant un récit d'une portée commune, universelle ? Les installations de Karine Debouzie abordent les questions de clivage et de binarité au sens large, en tentant un passage vers un féminisme ouvert à la transcendance, empreint d'archaïsme du sacré, au-delà des tabous et des censures.

Clémentine Feuillet

Mars 2016

Galerie Joseph-Antonin

PERCER DES BULLES

La recherche scientifique au risque de la dérive. L’Histoire le montre, Karine Debouzie l’interprète. Dérive toujours poétique de son coté, une poésie concrète, « en chair et en os » si je puis dire, pour dire qu’elle ne cède en rien au lyrisme.

 

Karine Debouzie poursuit sa recherche plastique faite d’installations, de dispositifs et de sculptures, dont l’essence interroge le corps, ses investigations et images médicales, l’univers organique et l’entropie.

Consistance, volume et légèreté, toujours. Crudité aussi parfois : le réel, l’appréhension du réel, à l’orée du monstrueux et de l’obscène, n’est jamais loin. Aussitôt rattrapé par le fantasque de l’interprétation, le jeu des changements d’échelle ou l’esthétisme de la réalisation, qui n’est pas sans raison…

Voilà que des modules-souches, organes abrégés, nuages meringués, prolifèrent sur le mur.

Ex-croissances autonomes, cellules « dégénériques », engendrements spontanés… Par perte de contrôle scientifique ? Par la force de la matière ?

 

La matière, ici, c’est le latex, dont l’artiste excède les propriétés premières pour « Evolucyte », œuvre inspirée par les dernières expériences (voir la revue « genes&development ») menées par des équipes de généticiens sur la culture des cellules-souches afin « d’effacer leurs marques de vieillissement », pendant que d’autres montrent leur possible évolution en cellules disons « déboussolées » après la manipulation, auxquelles l’artiste donne libre cours : « la poétique de la cellule » dit-elle…

 

Avec Karine Debouzie, c’est le traitement poétique, voire l’expérience artistique, du vertige scientifique ou la recherche à l’épreuve de l’Art.

 

Outrances de la science ? Outrances de l’art ? Une percée « inflorescente » et salutaire dans les bulles (hautement spéculatives) de l’une et de l’autre.

De la question du multiple, du reproductible, à l’épreuve d’artiste : une installation d’un naturel résolument expansif.

 

 

 

Sylvie Prieur

juin 2012

Galerie 16.10

Le corps, encore. Si le thème est récurrent dans l'art en général et dans l'art contemporain tout particulièrement, il ne nous a pas encore lassés, tant il nous concerne directement. Chaque regard éclaire des questions universelles.

 

Le regard de Karine Debouzie, interrogeant l’être au monde, est à la fois microscopique et distancié. Il se rapproche tant du corps qu'il y entre et dévoile, dans sa peau, ses os et ses organes, de véritables macrocosmes, des univers intimes et poétiques. L'infiniment proche se révèle infiniment profond. Le trivial y côtoie le mystère, l'angoisse et la douleur ne manquent pas d'humour, le médical se pare de pureté et la vulnérabilité recèle une histoire.

 

C'est ce double mouvement de rapprochement et de distanciation qui nous permet d'aborder la réflexion, allégés de la sensation d'agression que peut très vite susciter un travail sur le corps et ses aléas. Les innombrables modalités du rapport entre intériorité et extériorité apparaissent alors comme le thème central de ce travail. Le corps, à la fois familier et étranger, se confronte à l'autre et à la nature.

 

Travail inextricable où se mêlent matière, temps, mémoire, mécanique, sensualité, vie et mort. La question n’est pas tant ici « qui sommes-nous ?» mais bien plutôt « que sommes-nous ? ». Pour Karine Debouzie, nous ressemblons à des êtres magnifiquement obscènes, dont la fragilité n’a d’égal que la complexité.

Karine Olejnik
février 2012
Docteure en Histoire de l’Art, Marseille

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